J'avais en tête cet article depuis assez longtemps et je ne trouvais pas sous quel angle l'aborder. De nombreux auteurs & coureurs se sont déjà penchés sur la question de la méditation pendant l'effort d'endurance. Mais j'avoue n'en avoir lu aucun... J'ai bien essayé de lire Born to run de Christopher McDougall ou Run or die de Monsieur Jornet, mais je ne me reconnaissais dans aucun de ces ouvrages. Ceci étant certainement lié au fait que je ne pratique pas la course à pied à un tel niveau et que je n'ai jamais expérimenté d'ultra-trail.
Pour moi l'auteur qui résume le mieux les sensations que j'éprouve quand je cours c'est Jean-Jacques Rousseau dans Les confessions. Comme vous le savez peut-être notre ami JJ était un grand fan de notre belle région de l'arc alpin. Faisant régulièrement des promenades entre Chambéry et Turin, on peut dire qu'il était en quelques sortes un précurseur de l'ultra-trail ou de l'ultra-marche, si cela existe. Ne s'encombrant pas d'une montre GPS, de manchons de compression, ou du dernier SLab de l'époque, JJ parcourait de grandes distances et s'émerveillait d'à peu près tout (ce qui est incroyable compte-tenu de son état dépressif presque pathologique).
Je me souviens avoir lu avec engouement Les confessions au Lycée. Les paysages qu'il apprécie, les réflexions qu'il porte au sujet de la marche me parlent et font écho à mon enfance. Au sujet de sa grande passion pour la marche, il dit :
« La vie ambulante est celle qu’il me faut. Faire route à pied par un
beau temps, dans un beau pays, sans être pressé, et avoir pour terme de
ma course un objet agréable : voilà de toutes les manières de vivre
celle qui est la plus de mon goût. Au reste, on sait déjà ce que
j’entends par un beau pays. Jamais pays de plaine, quelque beau qu’il
fût, ne parut tel à mes yeux. Il me faut des torrents, des rochers, des
sapins, des bois noirs, des montagnes, des chemins raboteux à monter et à
descendre, des précipices à mes côtés qui me fassent bien peur. »
J'éprouve la même passion et la même attirance pour les précipices... Allez savoir pourquoi, une randonnée avec du vide me tentera mille fois plus qu'une longue traversée tranquille. Il faut avoir fait une fois la traversée de l'Etale - ma randonnée préférée - pour se rendre compte de quoi je parle.
Courir dans nos forêts alpines a ce quelque chose d'indéfinissable qui apaise l'esprit et ressource le corps. Rien qu'en fermant les yeux vous pouvez imaginer l'odeur de la terre, de l'humus, des sapins et vous retrouver plongé au cœur d'une forêt Chartrousine. La nature, la montagne, on l'a dans le coeur...
Concernant le vagabondage de l'esprit que l'on peut vivre lorsque l'on court ou que l'on marche, Jean-Jaques Rousseau emploie un terme qui me semble tout à fait juste et qui est "l'ambulante félicité". Il en parle dans ces termes :
« Jamais je n’ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si
j’ose ainsi dire, que dans ceux que j’ai faits seuls et à pied. La
marche a quelque chose qui anime et avive mes idées ; je ne puis presque
penser quand je reste en place ; il faut que mon corps soit en branle
pour y mettre mon esprit. »
Pour moi ces quelques lignes correspondent exactement à ce que la course à pied provoque chez moi. Je n'ai jamais tant d'idées que lorsque je cours... Il doit y avoir une réaction chimique, quelque chose qui se passe dans mon cerveau. Travaillant dans un milieu ou il faut sans arrêt être créatif et avoir de nouvelles idées, la course-à-pied m'aide, à la fois à me vider l'esprit, à décompresser, mais aussi à m'améliorer, à réfléchir, concevoir. Les meilleures idées de mes projets me sont venues en courant...
Alors je continue de courir, toutes les semaines, dés qu'il fait beau ou moins beau, dés que le cœur m'en dit. Sans objectif, sans performance, juste pour être bien dans mes baskets et dans ma tête.